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La dépêche du CATC

Dépêche / Novembre 2017

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Philosophes chinois

Ghyslaine CATC 

Par Ghyslaine Le Moulec, enseignante au CATC

 

 

Dao et philosophes chinois (1ère partie)

 

Le livre fondamental du taoïsme, le Tao Tei King, le livre de la Voie et de la Vertu, date probablement d'il y a plus de 2300 ans, il est attribué à Lao Tseu. Lao Tseu, le vieux maitre ou le vieil enfant, dont la légende dit qu'il a été le maitre de Confucius.

 

Les noms des grands penseurs de la Chine ancienne, Lao Tseu, Kong Fu Tseu, Meng Tseu, Tchouang Tseu, sont composés avec l'idéogramme "Tseu" qui est traduit par le mot maitre, mais qui signifie "Enfant", parce qu'un maitre demeure toujours un enfant devant la Connaissance, parce que durant toute sa vie, il ne cesse d'apprendre.

 

Le Dao est le Chemin, la Voie ou encore, le Dire, la Parole. C'est comme un écho à la langue de la Grèce antique, où le mot "Odos" signifiait à la fois le chemin, la Parole et l'ode.

Le Dao désigne la Voie, le Chemin et le Dire, mais le Dao ne peut être dit, nommé, énoncé, ne peut être exprimé.

Le caractère ineffable, indicible du Dao, écrit le sinologue Max Karltenmark dans son livre "Lao Tseu et le taoïsme", le caractère ineffable, indicible du Dao est affirmé dès le premier chapitre du Dao De Jing.

 

Mais la possibilité d'interpréter le texte de multiples façons, les variantes d'idéogrammes et l'incertitude du sens de certains mots font de ce chapitre très important, l'un des plus embarrassants du livre.

La première phrase du Dao De jing est selon les interprétations : "Le Dao qui peut être nommé n'est pas le Dao véritable", "Le Dao dont on peut parler n'est pas le Dao permanent", "le Dao qu'on saurait exprimer n'est pas le Dao de toujours", "La Voie qui peut s'émousser n'est pas la Voie pour toujours".

La phrase suivante est tout aussi irritante : "un nom qui peut servir à nommer n'est pas le mot permanent", ou encore : "le nom qui peut se nommer n'est pas le nom pour toujours".

 

Liu An, prince de Hua Henan écrit dans le "Huainan Zi" qui est l'un des trois grands textes du taoïsme rédigé il y a 2150 ans durant  la dynastie des Han :

"Le Dao ne saurait être entendu, ce qui peut être entendu, n'est pas lui. Le Dao ne saurait être aperçu, ce qui peut être aperçu, n'est pas lui. Le Dao ne saurait être émoussé, ce qui peut être émoussé, n'est pas lui. Qui donc a jamais compris que ce qui donne forme aux formes n'a pas de forme ?"

 

"Je scrute du regard et ne voit rien, dit Lao Tseu, j'appelle cela l'Indistinct. J'écoute et n'entend rien, j'appelle cela le Silencieux. Je palpe et ne trouve rien, j'appelle cela le Subtil. Aucune de ces trois expériences n'apporte de réponse, je ne trouve qu'une unité indifférenciée, indiscernable, on ne saurait la nommer".

"Il est un Être indifférencié et parfait, né avant le Ciel et la Terre, dit encore Lao Tseu, nous pouvons le considérer comme la mère du monde, mais j'ignore son nom, je l'appellerai Dao. Et s'il faut lui donner un nom, ce sera l'Immense, l'Incommensurable". Ce qui est sans nom est origine du Ciel et de la Terre, ce qui a un nom est mère des 10.000 êtres.

Les 10.000 êtres sont tous les êtres visibles ou non, y compris les êtres humains.

 

Puis, poursuit Lao Tzeu : "Visible et Invisible, ensemble, je les appelle l'Obscur ; et le plus obscur dans cette obscurité est la porte de tous les mystères".

Ou selon la traduction de François Cheng : "Mystère des mystères, porte de toutes merveilles".

 

Tchouang Tseu, autre grand maître du taoïsme qui vivait dans la Chine du 4ème siècle avant notre ère, dit dans le livre qui porte son nom : "Un jour, Tchouang Tseu s'endormit dans un jardin, il fit un rêve. Il rêva qu'il était un papillon qui voletait ça et là dans le jardin, heureux et faisant ce qui lui plaisait. Au bout d'un moment, fatigué de voler, le papillon se pose sur une fleur et s'endort. Il fait un rêve, il rêve qu'il est Tchouang Tseu. Soudain, Tchouang s'éveille. Il sait qui il est, il sait qu'il existe sans aucune erreur possible, mais il ne sait pas s'il est le vrai Tchouang Tseu ou s'il est le Tchouang Tseu du rêve du papillon".

Il ne sait pas si c'est Tchouang Tseu qui a rêvé du papillon ou si c'est le papillon qui a rêvé qu'il était Tchouang Tseu qui rêvait qu'il était papillon.

 

Les hommes s'oublient dans le Dao dit Tchouang Tseu, mais il nous enjoint de faire corps avec l'univers : au temps des Royaumes combattants, une période de guerres civiles et de luttes pour le pouvoir, Tchouang Tseu est un homme libre. Le Roi du Royaume de Tchou lui avait envoyé deux de ses  grands officiers pour lui proposer la charge de ministre. Ils l'avaient trouvé pêchant à la ligne au bord de la rivière Pu. Sans relever sa ligne, sans détourner les yeux de son flotteur, Tchouang Tseu leur dit : "J'ai entendu dire que le Roi de Tchou, conserve précieusement dans le temple de ses ancêtres, la carapace d'une tortue transcendante sacrifiée pour servir à la divination il y a 3000 ans. Dites-moi, si on lui avait laissé le choix, cette tortue aurait-elle préféré mourir pour qu'on honorât sa carapace, ou aurait-elle préféré vivre en trainant sa queue dans la boue ?

Elle aurait préféré vivre en trainant sa queue dans la boue dirent les deux grands officiers à l'unisson. Alors, dit Tchouang Tseu, retournez d'où vous êtes venus, moi aussi, je préfère trainer ma queue dans la boue. Je continuerais à vivre obscur, mais libre, je ne veux pas d'une charge qui coûte souvent la vie à celui qui la porte, et qui lui coûte la paix, toujours".

C'est au mystère du Dao qu'est consacré son livre : "Il y eut un commencement. Il y eut un commencement au commencement. Il y eut un commencement au commencement du commencement. Il y eut l'être. Il y eut le non-être. II y eut ce qui précéda le non-être. Il y eut ce qui précéda ce qui n'était pas encore le non-être".

 

Et ainsi, le Dao ne peut être connu que comme inconnaissable. À défaut de savoir ce qu'il est, on ne peut l'approcher qu'en sachant qu'on ne peut rien savoir de ce qu'il est.

Tous les êtres de ce monde naissent du visible, dit Lao Tseu, le visible, lui, nait de l'invisible.

à suivre…

 

 

Bibliographie et références

  • Philosophes taoïstes. Tome 1, Bibliothèque de la Pléiade, n° 283
  • Jean-Claude Ameisen : À la rencontre de la pensée chinoise
  • Max Kaltenmark : Lao Tseu et le Taoïsme. Points Sagesses, 2014
  • François Cheng : Et le souffle devint signe. L’Iconoclaste, 2010