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La dépêche du CATC

Dépêche / Janvier 2018

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Dao et philosophes chinois

Ghyslaine CATC

 

Dao et penseurs chinois... par Ghyslaine Le Moulec, formatrice au CATC

(2ème partie)

 

 

L'opposition du visible et de l'invisible est fondamentale dans la métaphysique de Lao Tzeu, dit Kaltenmark, l'Invisible est souvent traduit par non-être, le Visible, par être.

Mais plus qu'une opposition, il s'agit d'une articulation, d'une interaction qui se retrouve aussi dans la poésie et la peinture chinoises, lesquelles sont des supports métaphysiques pour les maitres chinois.

Ainsi, le peintre Guo Xi qui vivait il y a mille ans dans la dynastie des Song, écrit : "un poème est une peinture invisible ; une peinture est un poème visible".

 

Le Wu, l'invisible est aussi le vide. Mais il ne saurait désigner le néant, poursuit Kaltenmark, car cela impliquerait une conception créationniste de l'univers qui est étrangère à la pensée chinoise. Le Wu, le vide est au contraire un mode supérieur de l'être.

Pour Lao Tzeu, le vide est empli de toutes les virtualités, de toutes les potentialités, de tous les possibles.

 

Le Dao, dit Lao Tzeu, est imperceptible, indiscernable. Imperceptible, indiscernable, il recèle dans son sein les images, (…) il recèle dans son sein les êtres, et encore l'espace entre Ciel et Terre, c'est comme un soufflet de forge. Il est vide, mais il ne tarit pas, il est en mouvement, il ne cesse de produire.

 

Lao Tzeu emploie la métaphore du vide, de l'importance du vide : On façonne l'argile, en lui donnant la forme du vase, or c'est là où il n'y a rien que réside l'efficacité du vase. On perce des portes et des fenêtres pour se faire une maison, or c'est là où il n'y a rien que réside l'efficacité de la maison.

Ainsi nous croyons bénéficier des choses sensibles, le visible et le palpable, mais c'est là où nous n'apercevons rien, dans le vide, que réside l'efficacité véritable.

Tous les êtres de ce monde naissent du visible, le visible lui, nait de l'invisible, du vide. C'est là qu'émerge le souffle comme du soufflet de la forge et que tout nait, que tout commence, est accueilli, circule et se transforme.

 

Le Dao d'origine engendre le Un, le Un engendre le Deux, le Deux engendre le Trois, le Trois produit les 10.000 êtres. Les 10.000 êtres s'adossent au Yin et embrassent le Yang et l'harmonie nait au souffle du vide médian.

Du vide suprême, dit Cheng, émane le souffle primordial qui engendre les souffles vitaux que sont le Yin et le Yang, qui par leur interaction, réagissent et animent les 10.000 êtres.

La pensée chinoise est ternaire, la vraie transcendance, selon elle, ce n'est pas le Un monolithique, ni le Deux de la dualité, mais le Trois.

La pensée chinoise est donc ternaire, et non duelle oscillant entre Yin et Yang comme on a l'habitude de l'envisager.

Le Trois, dit Cheng, représente la combinaison des souffles vitaux, le Yin et le Yang et d'un troisième souffle appelé le vide médian.

Ce souffle né du Deux est perçu comme indispensable pour que le processus engagé par le Yin et le Yang soit assuré de l'harmonie.

 

Ainsi pour les Chinois, l'état du non-être est une dimension vitale pour l'être. Le vide, selon Cheng, est nécessaire au plein, sans lui, le souffle ne circulerait ni ne se régénèrerait.

Le souffle, à la fois non-être et être, est toujours en action. Le vide médian résidant au cœur de toutes choses, les maintient en relation avec le vide suprême et leur permet d'accéder en même temps à la transformation et à l'unité.

De là procède l'importance du vide dans la culture chinoise. Au lieu de s'appuyer sur l'idée d'un achèvement par le plein, dit Cheng, l'artiste chinois privilégie la création d'un espace d'accueil et de circulation qui intègre l'infini dans la finitude. Le vide et le souffle, le vide permet au souffle, principe vital de circuler.

 

Si le Wu est le vide, riche de tous les possibles, écrit Kaltenmark, le précepte de vie donné aux Sages est Wu Wei, l'absence d'action, le sans faire, le non-être et non-agir. De même que le Wu n'est pas le néant, mais le vide riche de toutes les potentialités, Wu Wei n'est pas l'inaction totale, mais l'absence de toute action qui va contre le Dao. Épouser le flux du monde, permet toutes les réalisations.

"Le Tao est toujours sans action, dit Lao Tzeu, mais il n'est rien qu'il ne fasse, rien qu'il ne puisse faire". Ou encore : "le Tao demeure toujours sans agir et pourtant, il n'y a rien qui ne se fasse sans lui, car il est ce qui surgit spontanément et permet d'animer le monde, si on ne le contrecarre pas".

Charles Le Blanc et Rémi Mathieu écrivent dans leur introduction au Huainan Zi : "le Dao est présent dans l'essence de tous les êtres, mais culmine dans une forme de négativité, non-connaissance, non-vouloir, non-désir, non-agir".

Une image utilisée par certains taoïstes peut donner une idée de la présence du Dao en nous : celle du musicien maitrisant parfaitement son art.

Pour jouer à la perfection une pièce de son répertoire, le musicien doit oublier la partition, les notes, l'instrument et lui-même. Dès que la pensée, le vouloir ou le désir interviennent dans le processus musical, ils risquent d'en pervertir l'intégrité.

Le Wu Wei, le non-agir, le non-être peut permettre de faire émerger un monde plus harmonieux. "Ce n'est pas le manque de richesse qui est à redouter sous le ciel, c'est l'absence de partage" dit le Kouang Tzeu.

 

Le Dao inspire tous les aspects de la vie, même l'art militaire : "Celui qui l'emporte le mieux sur l'ennemi est celui qui ne prend jamais l'offensive". Ou encore : "Celui qui est à la tête des hommes en s'appuyant sur le Dao se garde de faire violence au monde par usage des armes, ce genre d'entreprise a toujours des contrecoups. Là où sont passées les armées, il ne pousse plus qu'épines et chardons.

Le bon chef de guerre s'arrête dès qu'il a atteint son but, la victoire, il n'en profite pas pour imposer sa force. Il obtient la victoire parce qu'il ne peut faire autrement et sans faire montre de sa force. Les armes sont des outils néfastes, ce ne sont pas des outils du Sage, il ne s'en sert que lorsqu'il ne peut pas faire autrement".

Celui qui s'approche du Dao découvre le respect. Dans le Huainan Zi, au chapitre intitulé De l'équivalences des mœurs, il est dit : "Les êtres ne sont en soi, ni nobles, ni vils. Aucun être n'est sans valeur si l'on valorise ce par quoi il a de la valeur".

Non-agir dans la pensée de Lao Tzeu, c'est la suprême force, dit François Cheng, je pourrais ajouter, poursuit-il, faire ce qu'il faut, et puis laisser faire.

Il ne s'agit pas de fatalisme, mais de confiance, se libérer de tout désir stérile, laisser la rivalité en chemin, apprendre à consentir à l'exigence de la vraie vie. Rester humble devant les mouvements de l'âme comme un serviteur devant un plus grand que soi.

 

Nous pourrions conclure avec Lao Tzeu : "Ce qui est le plus doux au monde, règne sur ce qui est le plus dur au monde. Celui qui n'a rien, entre là où il n'y a pas d'espace, c'est ainsi que je sais le bénéfice qu'apporte le non-agir".

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Bibliographie

  • Philosophes taoïstes I : Lao-Tseu, Tchouang-Tseu, Lie-Tzeu - Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1980.
  • Philosophes Taoïstes. II : Huainan Zi (sous la direction de Charles Le Blanc et Rémi Mathieu). Gallimard, Bibliothèque la Pléiade, 2003.
  • Max Kaltenmark. Lao Tzeu et le Taoïsme. Points Sagesses, 2014.

•    François Cheng. Et le souffle devint signe. L’Iconoclaste, 2010.