(2ème partie)
Note : cet article s'inscrit dans la série consacrée à René Guénon. Les propos ici transmis sont issus de son œuvre.
Revenons au Kali-Yuga : "les vérités qui étaient autrefois accessibles à tous les hommes sont devenues de plus en plus cachées et difficiles à atteindre… Par obscurcissement graduel de la spiritualité primordiale" (René Guénon - La crise du monde moderne). Cela s'explique par le fait que notre développement répond à un processus cyclique et tout développement cyclique doit s'accomplir dans un mouvement descendant, du supérieur à l'inférieur, ce qui d'ailleurs, va à l'encontre de la notion de progrès au sens moderne du terme.
"(…) le développement de toute manifestation implique nécessairement un éloignement de plus en plus grand du Principe dont elle procède ; partant du point le plus haut, elle tend forcément vers le bas, et, comme les corps pesants, elle y tend avec une vitesse sans cesse croissante. " (ibid.). Une règle fondamentale traditionnelle confirme cette notion de chute : "le plus ne peut pas sortir du moins". C’est aussi l'une des raisons symboliques qui fait que l’homme ne vient absolument pas du lézard, encore moins du poisson, voire de l’utérus d’une guenon en mal d’humanité, même si la culture occidentale scientifique s’évertue à essayer de nous en convaincre.
Concernant le Kali-Yuga, c’est vraiment l'âge de l'illusion. Nous baignons collectivement dans un bain d’ignorance : ignorance du et des principes, falsification, confusion, matérialisation et massification croissantes, désordres, contrefaçons de toutes sortes, erreurs de direction, y compris dans le domaine de la spiritualité. L’inversion de l’ordre normal est générale et cela se traduit par la domination du pouvoir temporel sur l’autorité spirituelle. C’est-à-dire que le Kali-Yuga n’est pas seulement le temps du désordre mais c’est aussi celui de la subversion. Les développements frénétiques de la technologie sont proportionnels à l’épaisseur des voiles qui recouvrent la conscience collective. Nous sommes conditionnés depuis l’enfance pour admirer cette technologie et ses faux "progrès", mesure de notre ignorance de la Vérité et de la Connaissance. Les Amérindiens respectaient leur monde et leur environnement. Selon leur point de vue, la terre ne leur appartenait pas ; ils appartenaient à la terre, et la plupart des tribus étaient nomades. La civilisation américaine s’est construite sur le génocide de ces nomades, ce qui est ni plus ni moins que le "remake" du meurtre d’Abel par Caïn : le sédentaire éradique le nomade, la Terre insulte le Ciel. Cette civilisation américaine, à la mentalité européenne et occidentale, a envahi ce territoire qu’elle qualifie de "non civilisé", pour y établir une culture de masse. Tout comme sur les territoires Inuits et australiens à l'heure actuelle.
Les caractéristiques de notre époque apocalyptique (Kali Yuga) ont été dépeintes, de façon surprenante et explicite, dans les textes hindous vieux de dix à quinze mille ans. Ce qui démontre aussi que pour la Tradition, l'avenir est déjà inclus dans le présent. Dans la mesure où un plan céleste imprime sur terre une sorte de modèle, ceci implique que le futur est inscrit potentiellement dans le présent. Prévoir est inhérent à la pensée traditionnelle et notamment par la prise en compte de la dimension du temps de la vie, dimension cyclique et non pas linéaire.
Voici quelques extraits de cette description de notre époque :
"Des races d'esclaves se rendront maitresses du monde. Les chefs seront de nature violente et au lieu de protéger leurs sujets, les dépouilleront. Seuls, les biens confèreront le rang. Le seul lien entre les sexes sera le plaisir. La terre ne sera appréciée que pour ses biens minéraux. Le type de vie sera uniforme au sein d'une promiscuité générale. Celui qui distribuera le plus d'argent dominera les hommes. N'importe quel homme s'imaginera être l'égal d'un Brahmane. Les gens éprouveront la terreur de la mort et la pauvreté les épouvantera. Les femmes deviendront simplement un objet de satisfaction sexuelle." (Vishnu Purâna, le Kâli Yuga)
"Les races, les castes se mélangent (...) Ce sont les plus bas instincts qui stimulent les hommes du Kali-Yuga. Ils choisissent de préférence les idées fausses. Ils n'hésiteront pas à persécuter les sages (…) Il y aura de graves sécheresses (…) Les livres sacrés ne seront plus respectés (…) Les hommes seront sans morale, irritables et sectaires (…) Beaucoup périront. Le nombre de princes et d'agriculteurs déclinera graduellement (…) On tuera les fœtus dans le ventre de leur mère (…) Les ouvriers prétendront se comporter comme des Brahmanes, et les prêtres comme des ouvriers (…) De la nourriture déjà cuite sera mise en vente (…) Les livres sacrés seront vendus aux coins des rues. Il y aura beaucoup de mendiants, de sans travail. Tout le monde emploiera des mots durs et grossiers. On ne pourra plus se fier à personne. Les gens seront envieux (…) Les hommes n'utiliseront plus de monnaie, ils seront malades et connaîtront le désespoir."
Ainsi les Purâna, textes sacrés élaborés dans ces temps très reculés, annoncent-ils : "Nous approchons aujourd'hui de la fin du Kali-Yuga, l'âge des conflits, des guerres, des génocides, des malversations, des systèmes philosophiques et sociaux aberrants, du développement maléfique du savoir qui tombe dans des mains irresponsables" (ch. 40).
Ces textes décrivent la mort future de notre monde, mort indispensable pour qu'un autre puisse renaitre : "Quand les rites enseignés par les textes traditionnels seront sur le point de disparaître et que le terme de l'âge sombre sera proche, une partie de l'Être divin existant par sa propre nature spirituelle selon le caractère du Principe, qui est le Commencement et la Fin, descendra sur terre… et donnera naissance à une race qui suivra les lois de l'âge primordial." (Vishnu Purâna, le Kâli Yuga).
Guénon disait que dans le Kali-Yuga, l'une des grandes difficultés pour les êtres humains, c’est d’être à leur place. Il est très difficile de trouver sa place dans un monde qui organise tout en fonction d’un nivellement par le bas. Finalement personne n’est plus à sa place, mais il faut faire avec, c’est notre lot, notre Tao, et il faut le respecter en tant que tel car les circonstances qui nous sont données doivent avant tout être entendues. Notre venue au monde à cette période est dans l'ordre des choses. Ce qui est porteur d'espoir, c'est que ce n’est pas parce que nous sommes dans le Kali-Yuga que nous ne serons pas "rétribués" à la mesure de la qualité des intentions sous-jacentes aux actes produits. Le "devenir" posthume est conditionné par beaucoup de paramètres parmi lesquels, la justesse des actes posés.
Happy Kali-Yuga !
Ghyslaine Le Moulec, enseignante au CATC