Littérature et MTC
Selon Guénon
Kali Yuga
(1ère partie)
René Guenon a mis l’accent sur le fait que nous retrouvons dans toutes les sous-traditions, ou traditions particulières, des symboles qui nous renvoient vers les mêmes vérités universelles, vers les mêmes grands principes. Cependant c’est dans la cosmogonie hindoue que nous trouvons une description claire de ce qui nous apparaît comme le déroulement des temps avec la notion de Yuga, traduite communément par âge.
Cette description relate l'histoire de la Tradition à travers le cycle que suit une humanité (nous appelons "humanité" un collectif d’humains appartenant à un même cycle de réalisation). Ce cycle est exprimé sous la forme de quatre âges qui sont appelés respectivement : l’âge d’or (Krita Yuga), l’âge d’argent (Tréta Yuga), l’âge d’airain (Dvâpara Yuga), et enfin l’âge de fer (Kali Yuga): ce sont les quatre Yuga. Le Kali Yuga(en écriture devanagari: कलियुग), "âge de Kali" ou "âge de fer", quatrième âge est celui qui est le nôtre, toujours du point de vue de cette cosmogonie hindoue. Ces 4 âges représentent l’histoire d'un assombrissement progressif de la conscience collective, d'un éloignement du Principe accompagné de la dégénérescence des sociétés humaines. Cela correspond tout à fait à la notion d’involution, et non pas d’évolution, dont parlait Jacques André Lavier.
Pendant la première période, le premier âge, l’âge d’or, l’humanité était en prise directe avec l'influence céleste ; elle vivait la pleine conscience de sa nature divine. Il s'agit là de la pureté des hommes de la haute Antiquité évoquée au début du Nei Jing. L'humanité présentait collectivement les dispositions psychiques et intellectuelles pour accueillir intégralement cette influence supérieure. Puis, il y eut un premier obscurcissement qui correspond à ce que nous appelons l’âge d’argent. A noter que le passage d’un âge à un autre s’accompagne généralement de cataclysmes, de catastrophes, de destructions, de transformations planétaires. Suit l’âge d’airain où l’on se rapproche de plus en plus de l'aspect terre, de cet aspect carré ou cubique, au cours duquel la conscience collective se solidifie en quelque sorte (l’airain est un mélange de métaux où domine le cuivre). Puis, nous arrivons à l'âge de fer, le Kali Yuga. D'après les textes anciens, notre humanité actuelle se situe dans ce Kali Yuga, appelé aussi l'âge sombre. Nous en serions même au niveau le plus bas, le plus sombre de cet âge sombre.
Au cours des millénaires, l'influence de la Tradition s'est peu à peu tamisée ; des "voiles" se sont accumulés, allant jusqu'à la masquer, ce qui fait que notre capacité à en recevoir la lumière devient très limitée. Au fur et à mesure du temps, nous nous éloignons de cette pureté originelle et l'assombrissement progressif va de pair avec notre éloignement du Principe. Chaque cycle d'humanité est donc composé de ces quatre âges que l’on peut représenter comme allant du centre vers la périphérie. La doctrine hindoue (le Veda) enseigne qu’un cycle d’humanité est appelé “Manvantara" et ce degré de la manifestation universelle auquel nous appartenons en serait à son 7ème. La représentation centre/périphérie est là pour évoquer l’éloignement du centre, c'est-à-dire du Principe ; la conscience individuelle s’éloigne du Principe selon ces 4 étapes progressives. A la fin du Kali Yuga, nous basculerons vers le nouvel âge d’Or d’un nouveau cycle d’humanité (le 8ème). Il n’y a pas de mots dans notre culture pour évoquer ces notions, c'est pourquoi nous conservons ces termes sanscrits. Un Manvantara représente le développement, ou la réalisation1 des possibilités inhérentes à une humanité.
La tradition hindoue nous enseigne qu’il y a 14 Manvantara, lesquels forment un Kelpa. On appelle "monde" un degré de la manifestation universelle. Un Kelpa est l’ensemble des réalisations des possibilités liées à un monde donné. Nous avons une vision limitée de ce que nous nommons "le monde qui nous entoure", vision que nous prenons pour la seule réalité parce que perceptible par nos sens. Mais, nous ne pouvons pas appréhender ce qui est de l’ordre de la "métaphysique"2 par les moyens qui sont ceux du sensoriel et du mental.
Ce monde correspond à des possibilités de manifestations3 qui doivent se réaliser1 en 14 étapes et chacune de ces étapes en 4 âges. Lorsque seront épuisées les possibilités liées à notre l’humanité, alors se produira un renversement, et ce sera la fin de l’âge de fer, lequel coïncidera avec le début d'un nouvel âge d’or, celui du 8e Manvantara .Un nouveau processus d’assombrissement progressif se mettra en route, les hommes des âges les plus sombres ayant en eux cette nostalgie d’une lumière perdue. Nous retrouvons cette notion de "paradis perdu" dans toutes les traditions particulières de cette humanité. Le chiffrage du nombre d’années attribué par la Tradition hindoue à chacun des quatre âges repose sur le rapport 1 – 2 – 3 – 4, en se basant sur le Kali Yuga qui est censé avoir une durée de 6000 ans environ. Ce qui permet de définir le nombre d’années de chacun des autres âges :
- 6.000 ans pour le Kali-Yuga, âge de fer
- 6000 X 2 = 12.000 ans pour l’âge d’airain
- 6000 X 3 = 18.000 ans pour l'âge d’argent
- 6000 X 4 = 24.000 ans pour l’âge d’or.
Le total représente environ 60.000 ans. Nous avons dit plus haut que le Kali Yuga est bien avancé. Il y a eu des tentatives de datations pour essayer de déterminer à quelle étape de cet âge sombre en est notre humanité. Certaines études évoquent qu’il trouvera son achèvement au cours de ce 3e millénaire, d’autres disent beaucoup plus tard, mais Guénon n’a jamais voulu faire de pronostic de ce genre à ce sujet.Il est vrai que, individuellement ou collectivement, il ne serait pas très intéressant et surtout très dommageable sur un plan psychique de connaître le moment de notre terme : "Tu ne sais ni le jour ni l’heure". La Sagesse nous incite à nous comporter comme si nous allions mourir demain, et en même temps, comme si nous allions vivre encore 100 ans. Carpe Diem ! "Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain".
Cette première partie sur le Kali Yuga décrit sa place dans la cosmogonie hindoue. Lors de notre prochaine parution, nous décrirons ses caractéristiques.
Ghyslaine Le Moulec, enseignante au CATC
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1 Réalisation : Passage de la Puissance à l’acte.
2 Métaphysique : Partie supérieure du savoir ; celle qui remonte aux principes premiers des êtres. Au-delà de la physique. Connaissance des causes premières.
3 Manifestation : Domaine de réalité comprenant les deux modes formel et informel.
Références : La crise du monde moderne, René Guénon – René Guénon, Messager de la Tradition Primordiale, Jean Chopitel – Séminaires du Cercle Philosophique d'études Traditionnelles, Michel Laurent.
