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La dépêche du CATC - ARTICLES ET FORMATIONS PROPOSEES

Dépêche / Septembre 2015

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Littérature et MTC

Dans cette rubrique, Ghyslaine Le Moulec nous propose une série d'articles sur l'œuvre de René Guénon, auteur dont nous recommandons la lecture dans le cadre de l'étude de la Tradition et de la philosophie taoïste.


La Tradition, quel intérêt ?

 

Nous avons écrit dans notre précédent article que René Guénon avait témoigné de la Tradition, qu’il s’en révélait le transmetteur. Qu’est-ce à dire ?

 

Voyons quelques précisions concernant cette Tradition.

 

René Guénon fut le transmetteur de la Tradition, mais simple transmetteur ; ce qu’il expose ne lui appartient pas, ce n’est pas le fruit de sa réflexion ou de sa déduction, cela n’est pas le pur produit de ses facultés mentales. Il a divulgué des vérités que l’Occident avait oubliées, mais dont il reste encore des traces en Orient.

 

Dans notre cours sur ce sujet, lors du 1er séminaire qui s'est tenu les 19 et 20 septembre derniers, nous avons expliqué que la Tradition ne procède pas d’une accumulation progressive de connaissances qui se perpétuerait de cycle en cycle. La Tradition est Une, permanente et là de toute éternité, elle demeure sans interruption et sans altération. Elle relève du dogme (“dogma” en grec, idée de justesse) ; les dogmes s’admettent car ils sont indémontrables ; ainsi la Tradition ne se discute pas. Elle se perçoit par révélation, par intuition, par initiation ; elle est une puissance ordonnatrice obéissant à une Loi et à un Principe supérieurs.

 

Cela représente pour nous un obstacle de taille : notre mentalité contemporaine est-elle capable d’appréhender la réalité autrement qu’à travers la logique et la méthode dite scientifique, si prégnantes aujourd’hui ? Pourtant “Toutes nos théories ne sont que des mensonges en sursis” a dit récemment un scientifique lucide. L’idée d’une influence céleste et transcendante est très étrangère à notre façon de penser imprégnée de la notion de progrès, laquelle est en grande partie liée à celle de la théorie de l’évolution. Concept que nous aurons à remettre en question si nous voulons réellement appréhender ces sujets en lien avec la MTC.

 

Nous avons dit dans l’un de nos cours que la Tradition primordiale est Une ; d’elle découlent des “sous-traditions”, lesquelles formulent les mêmes informations, les mêmes idées, révélant ainsi un noyau de vérité commun à toutes les voies de réalisation spirituelle, notamment les religions.

 

René Guénon écrit : “Toutes les formes régulières de la Tradition sont équivalentes et par conséquent, les mêmes choses, quoique autrement exprimées se trouvent à la fois dans l’Hindouisme, dans le Taoïsme, dans l’Islam ésotérique, etc.” in Articles et comptes rendu.

 

La Tradition de l’un ne peut s’opposer à celle de l’autre, il n’y a que des formes traditionnelles plus ou moins compatibles. (Michel Laurent).

 

Il nous faut aussi intégrer la notion de cycle qui s’applique inévitablement aussi bien à l’humanité qu’à l’individu : naissance, croissance, mort et renaissance.

 

Ce qui corrobore, entre autres, cet enseignement est l’existence de textes hindous qui décrivent étonnamment notre époque avec moult détails alors qu’ils sont vieux de 10 à 15.000 ans ! Tout est contenu de toute éternité dans la Tradition, il ne s’agit pas de divination, mais bien de la confirmation que tout suit un même cycle et que cette description n’est que la description de notre Kali-Yuga actuel (nous consacrerons un article complet sur le Kali-Yuga). Il n’y a qu’une Tradition.

 

Au Moyen-Âge, l’Occident possédait encore une tradition ésotérique vivante, aujourd’hui dévoyée par le matérialisme et l’individualisme.

 

Dans Hermès trahi de Patrick Geay (Dervy), il est évoqué que dans la (sous) tradition juive, Hénoch s’identifie à l’ange Metatron, le “Prince de la face” le plus élevé de la hiérarchie angélique et le principe de toute manifestation prophétique. Il apparaît clairement dans ce texte qu’il attribue à chaque communauté humaine la tradition particulière qui convient à sa nature et à son cycle. Toutes les traditions sont une adaptation de la Tradition Primordiale au sein de laquelle se trouve l’essence de toute révélation (représentée ici par le prophète Hénoch.

 

Les livres saints majeurs(1) de tous horizons véhiculent selon leur obédience la Tradition universelle. Leur unité s’exprime dans la concordance de leurs principes et de leurs doctrines. Leur sens reste hermétique au premier degré ; seule l’intuition(2) intellectuelle(3)  permet de saisir la signification réelle de ces textes sacrés, leur lecture nous “parle” à un autre niveau plus profond, une compréhension s’opère à l’insu de notre mental.

 

Quel est l’intérêt pour nous d’entendre ce que la Tradition nous révèle ? C’est en partie ce que nous allons aborder peu à peu dans ces articles successifs et à travers ce que nous a légué René Guénon. Nous commençons par aborder ce qu’est l’être humain.

 

Tous les textes enseignent que l’être humain est d’origine et de destinée divines et que son existence sur terre sert à retrouver sa perfection originelle, réintégrer l’ordre divin dont il est issu. Il y a une vie posthume ; l’homme est d’essence traditionnelle et la Tradition n’a ni début ni fin. ”L’essence de l’homme est quelque chose de mystérieux qui échappe au sensible”. Que ce soit dans l’expression juive, musulmane, chrétienne, hindoue ou bouddhiste, il est question de réalisation spirituelle. Toutes ont pour objectif de nous enseigner comment réaliser cette essence supra-individuelle.

 

Notre réalisation spirituelle passe par nos actes ici-bas, par notre réalisation individuelle. Nos actes produits sont en lien direct avec notre réalisation en esprit.

 

Donc, il n’est pas question de ne pas vivre cette existence, de la nier, de s’en échapper. Il nous faut faire la part des choses, faire preuve de discernement et hiérarchiser nos priorités. Savoir que nos actes ici-bas servent ce qui les dépasse est porteur d’espoir.

 

Le fait que les hommes refusent obstinément leur dimension transcendante et préfèrent s’investir exclusivement sur le plan formel limité qui caractérise le monde existentiel, atteste cette précipitation de l’humanité vers le bas, et valide la description du Kali-Yuga.

 

Nous avons perdu la mémoire de l’infinie grandeur que nous tenons de notre nature divine. L’œuvre de Guénon sert à réveiller en nous cette conscience ; après, c’est à nous d’avancer dans un sens ou dans l’autre. La Tradition via René Guénon nous rappelle que l’être humain est ternaire : corps – âme – esprit, participant ainsi de deux natures : humaine et divine ; son état dans ce domaine de la forme est ponctuel.

 

La réalité première n’est donc pas le monde que nous percevons par nos sens. Ce qui nous est invisible est pourtant la seule réalité – “On ne voit bien qu’avec le Cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux” Le Petit Prince, St Exupéry)C’est le domaine de la “métaphysique”(3) et de “l’intellect(4)”. La métaphysique est essentiellement Une puisqu’elle est universelle et donc fondamentalement immuable, au-delà de la multiplicité des systèmes philosophiques et religieux. Il est légitime de penser que lorsque la vie spirituelle est réduite à son aspect religieux, elle est forcément trompeuse car elle comporte alors à un trop grand nombre d’éléments psychiques, affectifs et mentaux. C’est pour cette raison que les métaphysiciens comme Guénon (ou avant lui Maitre Eckhart) ne sont pas réellement acceptés par les milieux religieux, hormis par les courants ésotériques. Néanmoins, la compréhension  de l’existence que détient un homme religieux est plus large que celle de certains scientistes matérialistes qui s’imaginent comprendre les choses en les disséquant.

 

Ce que nous percevons de notre monde est Maya, l’illusion. Illusion ne veut pas dire irréalité, mais moindre réalité. C’est comme si nous regardions une carte géographique avec une loupe : sous la loupe, tout est clair et net ; tout autour de la loupe, c’est flou, mais pourtant cela existe bien. Ce qui est inaccessible à nos sens est tout aussi réel que ce qui ne l’est pas. De plus, chaque partie appartient à un tout et reflète ce tout, à la façon d’un hologramme.

 

La réalité ultime est le Principe infini ; réaliser cela permet à l’homme de retrouver sa vraie liberté, celle-ci réside dans le fait de se soumette aux lois divines. Observant la Loi, l’homme peut parvenir à supprimer les strates qui l’empêchent d’accéder à la conscience universelle, à la Connaissance, à recevoir le souffle de l’Esprit.

 

Pour corroborer ce qui précède, voici un extrait du Vishnu Purana, au sujet du Kali Yuga : “Quand les rites enseignés par les textes traditionnels seront sur le point de disparaître et que le terme de l’âge sombre sera proche, une partie de l’Être divin existant par sa propre nature spirituelle selon le caractère du Principe, qui est le Commencement et la Fin, descendra sur terre… Et donnera naissance à une race qui suivra les lois de l’âge primordial.”

 

Dans notre prochain article, nous essaierons de comprendre pourquoi Guénon s’est converti au soufisme.

Ghyslaine Le Moulec, enseignante au CATC

Notes
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1 Tao-Te-King, les Upanishad, la Bhagavad-Gita, l’Ancien et le Nouveau Testament, le Coran…

2 Intuition : au niveau supra-rationnel, elle désigne la capacité psychique permettant de recevoir l’influence procédant de l’intellect et de l’Esprit.

3 Métaphysique : Partie supérieure du savoir ; celle qui remonte aux principes premiers des êtres. Connaissance des principes universels, au-delà de la physique.

4 Intellect : Modalité informelle de l’être, en correspondance de nature avec sa dimension céleste ; l’Intellect est ce par quoi s’opère la réalisation de l’être en esprit. Il appartient donc à la dimension supra individuelle de l’être.

Lorsque l'auteur n'est pas spécifié après une citation, il s'agit de René Guénon.