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La dépêche du CATC

Dépêche / Septembre 2017

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Conte taoiste

Taoiste

 

Conte taoiste - Clairvoyance

 

 

A la fin de la dynastie des Yuan, les occupants mongols avaient imposé une loi martiale draconienne pour lutter contre les rébellions qui avaient ponctué leur domination. Le joug de l’étranger était si impitoyable que de nombreuses insurrections avaient éclaté dans plusieurs provinces de l’empire, déclenchant de terribles répressions. Mais les chefs des rebelles n’avaient jamais réussi à s’unir et se livraient parfois des combats fratricides. La Chine était à feu et à sang, victime d’une guerre civile interminable.

A cette époque troublée vivait un adepte du Tao du nom de Chang Choung. C’était un physionomiste et un devin très réputé. L’un des chefs de la rébellion, le général Chou Yuan Chang, alla consulter le taoïste pour connaître son avenir. Celui-ci l’examina en plissant les yeux un moment, et répondit :

- En ces temps incertains, nombreux sont ceux qui rêvent de chasser les mongols et de monter sur le trône du Fils du Ciel. Il n’y en a qu’un seul qui est l ‘élu des dieux. Je crois que vous êtes celui-là.

- Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

- Vous avez le front d’un dragon et les yeux d’un phénix. Ce sont les signes de la royauté. J’ai eu également une vision où votre principal rival, Chen You Liang, était mortellement blessé. Enfin l’observation des étoiles annonce une nouvelle dynastie et la paix pour la Chine.

Le général invita le devin à le suivre. Il avait besoin de lui comme conseiller. Chang Choung refusa. Le visiteur insista, mettant en avant qu’il fallait l’aider à mettre un terme aux souffrances de tout un peuple. Par compassion, le taoïste accepta.

Chang Choung accompagna Chou Yuan Chang dans ses campagnes militaires, qui consistaient principalement à lutter contre l’armée de son rival Chen You Liang.

Les combats entre les deux camps avaient fait rage pendant plusieurs jours causant de terribles pertes de part et d’autre. L’armée de Chou Yuan Chang, inférieure en nombre, était en fâcheuse posture. Le général fit venir le devin sous sa tente et lui expliqua qu’il n’avait pas d’autre choix que de battre en retraite, attendre des renforts et contre-attaquer à un moment plus favorable. Chang Choung le taoïste répondit :

- Ce serait une grave erreur. Tenez vos positions jusqu’au coucher du soleil et demain, à l’aube, vous serez victorieux.

- C’est impossible ! s’exclama le stratège expérimenté. Nous n’avons aucune chance.

- Faites-moi confiance. Je vous ai déjà prédit le décès de votre adversaire. Il sera mortellement blessé d’ici au coucher du soleil. Demain, son armée sera démoralisée.

Chou Yuan Chang fit confiance à son devin. Celui-ci n’était pas de ces hommes qui dispensent des conseils sans se les appliquer à eux-mêmes. Il avait également à cœur de hâter la fin de cette guerre civile et son lot de malheurs.

Experts en arts martiaux internes comme le sont maints taoïstes, il se jeta donc dans la mêlée avec pour toute arme son bâton, pour toute cuirasse sa science de l’esquive. Son exemple galvanisa les troupes qui résistèrent jusqu’à la tombée de la nuit.

Le lendemain, dès l’aube, le général Chou Yuan Chang fit irruption sous la tente de Chang Choung lui annonçant que sa prédiction était fausse. L’armée ennemie était en ordre de bataille, prête à l’assaut. Le devin ferma les yeux un moment et répondit :

- Chen You Liang est déjà mort. Je le vois très clairement. Il est possible que ses lieutenants aient fait croire à l’armée qu’il n ‘était que blessé pour ne pas la démoraliser. Envoyez-moi donc parlementer avec lui, nous en aurons alors le cœur net.

L’état-major ennemi refusa au taoïste de négocier directement avec leur chef. Il sourit et dit :

- Je sais que Chen You Liang est mort. Si vous vous ralliez Chou Yuan Chang, vous sauverez des vies humaines et vous deviendrez les généraux de celui qui porte les signes du Fils du Ciel. Sinon, nos hérauts sont prêts à proclamer sur le champ de bataille que votre chef n’est plus de ce monde. Vos troupes seront démoralisées et sauront que vous leur avez menti. Elles perdront toute confiance en vous.

Impressionnés, les commandants ennemis se rangèrent sous la bannière de leur adversaire, scellant ainsi l’unité des forces rebelles.

 

Chang Choung le devin aida plus d’une fois le généralissime des partisans à prendre les bonnes décisions qui lui assurèrent des victoires décisives jusqu’à la défaite finale des mogols. Chou Yuan Chang monta sur le trône et fonda la brillante dynastie des Ming qui assura durablement  paix et prospérité à l’empire du Milieu.

Estimant que sa mission était achevée, le taoïste demanda l’autorisation de se retirer loin de la Cour. Le nouveau maître de la Chine ne l’entendit pas de cette oreille. Il lui répondit qu’il avait besoin de ses avis éclairés pour mener les affaires de l’Etat et déjouer les complots. Chang Choung insista pour partir, redemanda sa liberté, au nom de leur vieille amitié, prétextant qu’il voulait continuer à cheminer sur la Voie, loin des intrigues de la Cour. L’empereur le prit de haut et assigna son devin à résidence avec interdiction de quitter la capitale. Cela ne fit que confirmer les prémonitions du taoïste qui, en bon physionomiste, avait vu que le regard et les traits de Chou Yuan Chang avaient changé. Ils ressemblaient de plus en plus à ceux du tigre mangeur d’hommes. Il voyait aussi en permanence un nuage noir qui nimbait son crâne. Et l’avenir confirmerait ces mauvais présages…

Après quelques temps de résidence surveillée, un officier affolé vint avertir le souverain que le devin avait mystérieusement disparu. Ce militaire dirigeait les gardes qui escortaient en permanence Chang Choung avec ordre de ne pas le lâcher d’une semelle. Mais alors que son palanquin franchissait le plus élevé des ponts qui enjambaient le fleuve, l’escorte s’aperçut qu’il leur avait faussé compagnie. L’empereur, furieux, fit fouiller sans succès les berges en aval, puis il fit placarder dans tout l’empire un avis de recherche à l’encontre dun dénommé Chang Choung, avec son portrait.

Un mois plus tard, un message du gouverneur de la province du Gan Xu annonça que le devin avait été aperçu franchissant la frontière de l’ouest, le quatorzième jour du quatrième mois. Cela correspondait au lendemain de sa disparition. Et c’était à plus de trois mille li de la capitale !

L’avenir donna raison à la fuite du taoïste. L’empereur, comme maints chefs d’état, devint paranoïaque. Il fit exécuter pour haute trahison tous ses anciens compagnons, tous ceux qui l’avaient aidé à monter sur le trône.

Ainsi va le monde des puissants.