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Dépêche / Janvier 2017

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Divers points de vue sur la mort

Ghyslaine, formatrice au CATC   Diverses considérations sur la mort... par Ghyslaine Le Moulec, formatrice au CATC

 

Nous n'allons ici exposer que quelques considérations sur la mort car le sujet est vaste et il faudrait plus d'un livre pour en faire le tour…

Pour éviter de paraphraser, nous allons souvent directement citer certains passages de nos sources.

Comment la mort est-elle considérée selon les civilisations et selon les époques ?

 

Pour les Grecs, les Celtes avaient non seulement une aptitude étonnante à ne pas redouter la mort, mais également à la rechercher.

Aristote dans un texte du IVème siècle avant J.C. les décrivait avançant en armes contre les flots et les considérait comme l'exemple même d'êtres déraisonnables. Les Gaulois (peuple celte), souvent nus, faiblement protégés par leurs armes, s'engageaient inconsidérément dans le combat et ni les blessures ni la perspective d'une mort certaine ne les arrêtaient.

Les Celtes croyaient en une forme particulière de métempsychose, ce qui leur ôtait toute crainte de la mort et les encourageait au combat.

De nombreuses formes de suicide suffisent à illustrer le peu de cas que le Celte faisait de sa vie. De même les Gaulois méprisaient totalement les dépouilles humaines : Pausanias s'est interrogé sur le fait qu'après la bataille de Thermopyles, les Gaulois ne réclament pas leurs morts ; il indique qu'il leur était égal que les bêtes sauvages et les oiseaux de  proie se repaissent de leurs chairs (Jean-Louis Brunaux  "Visages de la mort et du mort en Gaule celtique").

 

Avant l’Empire romain, les textes anciens soulignent le fait que les Grecs croyaient en l’existence d’un séjour souterrain après la mort : le royaume d’Hadès.

Chez les Etrusques, premiers habitants de la péninsule italienne, il existait déjà une croyance en la survie dans la tombe. Afin que le mort puisse vivre de nouveau, sa tombe devait être à l’image de la demeure des vivants.

Chez les Grecs et les Romains, le culte des morts était un hommage rendu aux âmes qui ont quitté le corps pour entrer en contact avec les dieux du Panthéon. A la fin de la République en Italie, le scepticisme domine parmi les classes les plus cultivées, elles commencent à douter de l’existence d’une vie après la mort ou d’un séjour souterrain ou au Panthéon.

 

Dans certaines branches de l’hindouisme, il est fait mention d’une vie après la mort — le corps n’étant qu’une enveloppe matérielle temporaire. Lorsque survient le moment de quitter la vie, il est dit que toutes les facultés d’action et de sensations se replient dans le mental (manas), puis le mental se replie dans le souffle (prana), puis le souffle dans l’âme individuelle (Jivatman) et enfin cette dernière retourne au Brahman et atteint la libération (moksha).

Cependant, si le karma de l'individu est chargé de trop d’actes négatifs (les mauvaises actions), l’âtman s’incarne dans un nouveau corps sur une planète comme la terre (ou inférieure – l’enfer), afin d’y subir le poids de ses mauvaises actions. Si son karma est positif, il ira vivre comme un dieu (Deva), sur l’une des planètes célestes (supérieures à la terre – paradis). Une fois épuisé son karma, l’âme retournera sur terre dans un autre corps au sein d’une caste. Pour briser ce cycle perpétuel, l’Hindou doit vivre de manière à ce que son karma ne soit ni négatif, ni positif, suivant ce verset de la Bhagavad-Gîtâ (II.11) : "Tu t’apitoies là où la pitié n’a que faire, et tu prétends parler raison. Mais les sages ne s’apitoient ni sur qui meurt, ni sur qui vit".

Loin de constituer un tabou, la vie et la mort s’entremêlent étroitement tout au long de l’existence. La mort est omniprésente dans le quotidien de tous les Hindous.

 

Les Amérindiens désirent que le membre de la tribu aille rejoindre ses "frères et sœurs" spirituels dans le monde éternel.

Pour les tribus indiennes d'Amérique du Nord, la voie lactée est le chemin des âmes regagnant l'au-delà. A son extrémité se trouve le pays des morts. Chez les autochtones du nord canadien, l'ombre et l'âme qui sont distinctes l'une de l'autre se séparent du cadavre au moment de la mort. L'âme gagne le royaume du loup à l'ouest, et l'ombre demeure à proximité de la tombe.

Pour les Navajos, la mort n’est pas ressentie comme une peine, bien au contraire, elle est "un moment de fête". La mort est une renaissance, une vie après la vie.

Des dispositions funéraires sont observées fidèlement de façon à ce que les morts ne reviennent pas dans le monde des vivants. Ainsi, quand une personne est sur le point de mourir, celle-ci est immédiatement conduite dans un endroit séparé jusqu'à ce qu'elle décède.

La plupart des Indiens croyaient qu'un homme avait au moins deux âmes : l'une était libre de toute attache et pouvait quitter le corps durant le sommeil et la maladie, l'autre était chevillé au corps.
La première gagnait immédiatement le monde des esprits après la mort. La seconde subissait le même sort que le corps périssable ou, du moins, restait attachée à lui pendant un certain temps (Virginie Cottard).

Indiens et Inuits croyaient en une vie après la vie qui ne ressemblait pas toujours aux fameux "territoires de chasse du Grand Esprit" dont parlent les westerns hollywoodiens. Les Delawares croyaient que la seconde âme devait franchir douze niveaux cosmiques avant de rejoindre le monde des esprits.

Pour les Apaches l'au-delà n'était qu'une étape, une sorte de purgatoire précédant la réincarnation de l'âme.

Pour d'autres tribus le monde des morts était le négatif de celui des vivants, et les rivières remontaient vers leur source.

 

Les Grecs comme les Iroquois attachaient une grande importance à recueillir les corps des guerriers tombés sur le champ de bataille. Pour certains chercheurs, la coutume d'enterrer les cadavres, au lieu de les abandonner à la voracité des animaux, autorise à supposer que l'idée de l'âme remonte à une antiquité extrêmement reculée.

 

Chez les Guayakis (Paraguay et Brésil) les morts sont mangés (rôtis) quelle que soit la façon dont ils ont perdu la vie. Mais le cadavre n'est jamais mangé à la nuit tombée sous peine de maladie. Une fois la viande consommée, les os du cadavre sont brisés, sucés, puis jetés dans le feu ; le crâne est pilé et les morceaux en sont brûlés. C’est là un acte d’une extrême importance car la fumée en s’élevant permettra la montée de l’âme dans sa demeure céleste. Il y a également existence d’âmes multiples : d’une part l’âme céleste qui est bénéfique (Owé), de l’autre l’âme tellurique (Ianwé) vivant dans la forêt et associée à tous les esprits mauvais. (Cannibalisme et mort chez les Guayakis, Pierre Clastres et Lucien Sebag).

 

La doctrine de l’Islam soutient qu’après la mort du corps humain, l’existence humaine se poursuit sous forme de résurrection spirituelle et physique.  Il existe une relation directe entre la conduite sur terre et la vie au-delà de la mort. La résurrection sera précédée de la fin du monde.

 

Au Japon, la mort est considérée comme le début d’une nouvelle vie. Toutes les cérémonies de deuil qui l’entourent sont basées sur cette croyance et sont généralement célébrées selon le rite bouddhiste bien que l’on trouve aussi des funérailles shintoïstes ou chrétiennes. Une des particularités du Japon est que l’incinération y est obligatoire, ceci s’explique en grande partie par le manque de place sur l’île.

 

Pour les Chinois, la mort n'est qu'une simple étape et la vie un simple voyage du sein de la mère au tombeau. Ils ne cherchent donc jamais à s'échapper de ce processus naturel.

 

Concernant les Tibétains, quelques citations du Livre tibétain de la vie et de la mort (Sogyal Rinpoché), seront suffisamment explicites :

"Imaginez comment serait le monde si l'on donnait à l'existence un sens sacré; si, l'accompagnement des derniers instants de la vie était éclairé par un profond respect de la mort; et si l'on considérait la vie et la mort comme un tout inséparable." "La mort est à nos yeux, plutôt un changement de vêtements vieux et usagés, qu'une véritable fin".

"Malgré ses prouesses technologiques, la société moderne occidentale ne possède aucune compréhension réelle de ce qu'est la mort, ni de ce qui se passe pendant et après celle-ci".

"Toutes les grandes traditions spirituelles du monde, y compris, bien sûr le christianisme, ont clairement affirmé qu'elle (la mort) n'est pas une fin".

"La mort n'est ni déprimante ni séduisante, elle est tout simplement une réalité de la vie".

"Dans l'approche bouddhiste, la vie et la mort sont perçues comme un tout : la mort est le début d'un autre chapitre de la vie. La mort est un miroir dans lequel se reflète l'entière signification de la vie".

"La raison la plus profonde de notre peur de la mort n'est-elle pas que nous ne savons pas qui nous sommes ? La raison est que nous croyons en une identité personnelle, unique et distincte".

"Le terme tibétain pour désigner le corps est lü, ce qui signifie : ce qu'on laisse derrière soi, comme un bagage".

 

Revenons à notre culture :

Dans les romans médiévaux, les chevaliers sont avertis de leur mort, "on ne meurt pas sans avoir eu le temps de savoir qu'on allait mourir".

"Sachez, dit Gauvain, que je ne vivrai pas deux jours" (La mort d'Arthus, Les Romans de la Table ronde, Paris, Boulenger, 1941).

A Roncevaux, Roland "sent que la mort le prend tout. De sa tête elle descend vers le cœur". "Il sent que son temps est fini" (La Chanson de Roland, Paris, Bédier, 1922).

Les pieux moines ne se conduisaient pas autrement que les chevaliers. A Saint-Martin de Tours, au Xème siècle, après quatre ans de réclusion, un vénérable ermite "sentit, nous dit Raoul Glaber, qu'il allait bientôt quitter le monde".

"Notons-le, l'avertissement était donné par des signes naturels ou plus souvent encore, par une conviction intime, plutôt que par une prémonition surnaturelle ou magique" (Raoul Glaber).

 

A une époque où cette simplicité était déjà perdue, le génie de Tolstoï nous fait la retrouver  dans Trois Morts où il décrit un vieux postillon qui agonise dans la cuisine de l'auberge. Quand une bonne femme lui demande gentiment si ça va, il répond : "La mort est là, voilà ce que c'est".

Lorsqu'Iseult retrouve Tristan mort, elle sait qu'elle va mourir aussi. Alors elle se couche près de lui, elle se tourne vers l'Orient.

Aussi bien chez les moujiks de Tolstoï que dans le monde des Romans de la Table ronde, la mort est chose simple et lorsqu'ils savaient leur heure venue, ils prenaient leurs dispositions. Jusqu'au XVIIIème siècle, le mourant attendait la mort au lit (gisant). La mort était une cérémonie publique et organisée selon un protocole précis et connu de tous. Tous les proches du futur défunt étaient réunis dans sa chambre, y compris les enfants.

Alors que de nos jours, multiples précautions sont prises pour éloigner les enfants de ce qui a trait à la mort. Les rites de la mort étaient acceptés et accomplis d'une manière cérémonielle certes, mais sans caractère dramatique, sans mouvement d'émotion excessif.

Soljenitsyne dans Le Pavillon des cancéreux, fait se remémorer les anciens par l'un de ses personnages, Ephren : "… tous admettaient la mort paisiblement [souligné par l'auteur]. Non seulement ils ne retardaient pas le moment des comptes, mais ils s'y préparaient tout doucement et à l'avance, désignaient à qui irait la jument, à qui le poulain…Et ils s'éteignaient avec une sorte de soulagement comme s'ils devaient simplement changer d'isba". Ainsi est-on mort pendant des millénaires.

"La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Le savoir mourir nous affranchit de toutes subjections et contrainte" (Montaigne).

 

Avec le Christianisme, les croyances sur la vie d’outre-tombe se transforment en une foi dans une nouvelle vie de béatitude. Paul dans l’Épître aux romains, (V, 12) expose que la mort est un tribut payé au péché ; il y voit donc une voie vers le salut, car une fois le péché supprimé, la mort n’existe plus.

La conception chrétienne d’une survivance personnelle de l’âme et d’une résurrection du corps semble correspondre à l’instinct de conservation de l’homme.

Ainsi, si les épitaphes païennes mentionnaient l’âge précis du défunt, les chrétiens signalent  la date de la mort car elle est pour eux la date de la renaissance à une nouvelle vie. De même, les cimetières sont ramenés intra muros.

Cependant, les rationalistes réfutent cette pensée car pour eux, la mort entrant dans la loi de la nature, elle est l’anéantissement de la vie ; ils refusent donc de laisser une place à l’idée de salut.

 

Dans le Judaïsme, les rites et traditions juives accompagnent le mourant et les endeuillés vers la sérénité, c'est ici et maintenant que les choses se passent, et pour le salut de l'âme d'un proche dans l'au-delà, la thora nous prescrit la fidélité et la générosité.

 

La pensée moderne demeure encore empreinte de l’influence du christianisme. Ainsi Jean Calvin (1509-1564) écrivait-il : "Il faut donc que la douleur des fidèles soit mêlée de consolation, qui les conduise à la patience. L’espérance de l’immortalité bienheureuse, laquelle est mère de patience, fera cela".

La pensée se fait plus personnelle et s’éloigne de l’emprise religieuse avec Montaigne qui dans ses Essais (II, VI) déclare : "Quant à la mort, nous ne la pouvons essayer qu’une fois".

 

La mort est indicible dans la société occidentale contemporaine. Comment est-on passé progressivement de la mort familière, "apprivoisée" du Moyen Âge, à la mort refoulée, maudite et "interdite" dans les sociétés contemporaines ? Fuir la mort, telle semble être la tentation de l'Occident" (Philippe Ariès).

Quels changements ont, au Moyen Âge, à partir du XIIème siècle environ, commencé à modifier l'attitude devant la mort, et quel sens pouvons-nous donner à ces changements ?

Sans doute la laïcisation de la société, le mouvement hygiéniste du XVIIème siècle mettant de nouveau les cimetières hors les murs des villes, les bouleversements considérables apportés par la révolution industrielle du XIXème siècle, puis par les "progrès" technologiques constants depuis l’après-guerre peuvent-ils partiellement expliquer comment nous sommes parvenu à la vision de Michel de Certeau dans L’invention du quotidien : "Il faut que le mourant reste calme et en repos. Au-delà des soins et des calmants nécessaires au malade, cette consigne met en cause l’impossibilité, pour l’entourage, de supporter l’énonciation de l’angoisse, du désespoir ou de la douleur : il ne faut pas que cela se dise".

 

Étonnante évolution que celle de la perception de la mort au sein de la société occidentale, qui est passée de croyances en un renouveau, où la mort faisait partie intégrante de la vie, à un doute colossal qui annihile tous liens au moment du passage de vie à trépas, excluant la mort du quotidien de l'existence.

Ce qui en ressort, c’est que nous craignons ou nions la mort parce que nous ignorons qui nous sommes, nous nous limitons à notre individualité, sans conscience de la dimension et de la globalité de notre être ; nous n'avons ainsi aucune idée de l'existence d'une réalité plus profonde.